Aujourd’hui, les services de streaming hébergés dans le cloud sont omniprésents et il est devenu normal de profiter simultanément de plusieurs plateformes pour regarder nos films et séries préférés. Que ce soit Disney+, Netflix, Amazon Prime ou Apple TV+, chacune de ces plateformes propose des offres variées qui s’adaptent à nos envies. De plus, elles sont interconnectées, ce qui signifie que nous pouvons les utiliser sur différents appareils, allant du smartphone à la TV connectée. Cette interopérabilité a grandement contribué au succès de ces services, et il est impensable aujourd’hui de revenir en arrière vers un environnement fermé limité à une seule plateforme.
Dans le domaine de l’informatique, les utilisateurs se sont également familiarisés avec des offres diverses qui répondent, par leur complémentarité, à des besoins spécifiques. Les principaux fournisseurs de cloud tels qu’Amazon, Microsoft, Oracle et Google proposent des solutions différenciées allant des plateformes d’hébergement simples aux applications plus complexes et spécialisées dans l’analyse et le traitement des données. En raison de cette variété de compétences, la meilleure approche pour les utilisateurs consiste à combiner plusieurs services afin de répondre de manière optimale à leurs besoins. L’interopérabilité des solutions devient donc une nécessité incontournable.
Cette dynamique fait l’objet de discussions dans le débat politique français, notamment dans le cadre du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, actuellement en examen au Parlement. Ce projet de loi prévoit des dispositions visant à renforcer l’interopérabilité sur le marché du cloud. L’interopérabilité est un enjeu central identifié par les pouvoirs publics, mais sa compréhension reste complexe, en particulier pour les administrations.
Renforcer l’adoption du multi-cloud dans le secteur public
Le multi-cloud est déjà adopté par de grandes entreprises, mais les ministères et les administrations publiques ont encore du mal à s’y retrouver. Pourquoi ? Pour l’administration, le multi-cloud signifie souvent devoir choisir entre plusieurs fournisseurs et opérer ensuite dans un environnement cloisonné. En remplaçant progressivement leurs infrastructures traditionnelles par des solutions cloud, les administrations ont souvent réduit l’interopérabilité au lieu de l’améliorer, en consolidant leurs missions et leurs architectures auprès d’un seul fournisseur, sans évaluer s’il s’agissait de la solution la plus adaptée à leurs besoins. Or, certaines solutions excellent dans un domaine (par exemple, le traitement de l’imagerie) mais sont moins performantes dans d’autres (les calculs mathématiques complexes à haut volume).
Concrètement, étant donné la diversité des données traitées, les pouvoirs publics ont besoin de clouds agiles, résilients, sécurisés et interconnectés. L’objectif est de choisir le fournisseur qui répond le mieux aux exigences et aux contraintes opérationnelles spécifiques à chaque administration, tout en garantissant l’interopérabilité entre ces fournisseurs. Ainsi, les infrastructures publiques restent parfaitement intégrées tout en tirant parti des avantages d’un environnement multi-cloud interopérable.
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de se concentrer à la fois sur les normes techniques et sur la connectivité physique. Ainsi, l’État pourrait prendre les mesures suivantes :
- Rendre l’interopérabilité obligatoire lors des appels d’offres publics : exiger des fournisseurs qu’ils travaillent sur des normes communes pour permettre l’interopérabilité totale des offres de cloud, comme une condition sine qua non dans les procédures d’appels d’offres.
- Encourager l’interconnectivité : inciter les fournisseurs à interconnecter physiquement leurs infrastructures, permettant ainsi à leurs clients d’accéder librement aux services sans avoir à déplacer ou à migrer leurs données d’un fournisseur à l’autre.
- Promouvoir l’open data : le gouvernement doit encourager la libre circulation des données, sans compromettre leur protection et leur souveraineté.
- Interdire les frais de transfert (ou « egress fees ») : pour favoriser l’interopérabilité des solutions cloud, le gouvernement doit imposer aux fournisseurs d’assurer gratuitement le transfert des données d’une solution à une autre.
Un enjeu de performance et d’efficacité des services publics
Il est temps de faire évoluer la réglementation entourant le cloud afin de garantir une interopérabilité complète des données pour les administrations. Il ne s’agit pas de révolutionner les offres existantes, mais plutôt de donner une véritable impulsion à la généralisation des partenariats multi-cloud initiés par certains fournisseurs. Par exemple, depuis 2018, Oracle et Microsoft offrent à leurs clients respectifs une expérience entièrement interopérable en connectant de manière sécurisée Oracle Cloud Infrastructure (OCI) et Microsoft Azure. Fort du succès de cette initiative, il est essentiel de généraliser ce principe afin de permettre à toutes les organisations, qu’elles soient publiques ou privées, de bénéficier d’un cloud résilient et agile, adapté à leurs besoins spécifiques.
Il est également important d’interdire les pratiques commerciales limitant la concurrence sur le marché comme les frais de transfert. Comme le souligne l’Autorité de la Concurrence dans son rapport publié en juin 2023, ces frais limitent drastiquement la capacité des clients à adopter des stratégies alliant plusieurs fournisseurs (cf. comparaison ci-dessous).

L’interopérabilité et le multi-cloud sont essentiels pour permettre aux pouvoirs publics de poursuivre leur transition vers la dématérialisation des données. Cette étape est indispensable pour répondre aux besoins des citoyens français et de l’État dans les années à venir. Il est donc impératif de saisir cette opportunité pour promouvoir l’innovation, car la sécurité et la performance des services publics en dépendent.
